Je ne veux pas leur laisser le pays. Je ne veux abandonner ni la bataille ni la guerre. Je ne veux pas laisser derrière moi ceux que j’aime. Ni ma famille, ni mon amour, ni mes amis et encore moins mon fils. Je ne veux pas devenir une exilée, une réfugiée. Je ne veux pas leur donner ce plaisir d’avoir gagné.
Ils ont parié sur notre lassitude. Parié sur notre malaise, notre douleur. Ils ont parié sur leur invincibilité. Sur leur crasse. Sur leurs armes, leurs menaces. Ils essaient de nous piéger en créant un état répressif, nous interdisant de critiquer ceux qui sont au pouvoir en nous annonçant que nous serons poursuivis. On ne touche pas à la présidence de la République ni aux institutions étatiques, mais on peut demander des comptes à celui qui nous gouverne et à qui on a permis d’accéder au pouvoir suprême. On est en droit de lui demander des explications. Des explications sur le rôle de son gendre, sur ses alliances contradictoires, sa déloyauté en 1989 et 30 ans plus tard, et sur son silence.
Je ne leur laisserai pas le pays. Fachar. Ils auront beau nous voler, nous écraser, nous priver de nos droits les plus basiques comme la liberté d’expression, nous jeter des gaz lacrymogènes, nous porter des coups au sens propre comme au sens figuré, nous faire crever de faim. Ils auront beau nous interdire d’accéder à notre argent, jouer avec le dollar, commettre des crimes écologiques, faire des affaires frauduleuses pour se remplir encore et toujours les poches. Ils auront beau lever le doigt en proclamant que nous nous devons de faire allégeance à la Syrie et cracher sur le Caesar Act, ils ne nous auront pas. Ils ne nous auront plus.
Cela fait neuf mois que la révolution d’octobre a pris le train de la liberté. Neuf mois que le peuple déclare qu’il n’en peut plus ; qu’il veut voir ces crapules croupir en prison et payer le prix de leurs exactions pour se réapproprier son pays. Neuf mois de gestation peut-être, mais un nouvel accouchement. Parce que nous n’avons plus le choix, plus d’autre solution. Et même si nous résistons comme ce petit village gaulois, regardant les autres déserter nos rangs, nous savons que bientôt nous serons plus nombreux. Non, nous n’allons pas dévoiler ceux qui dans l’ombre œuvrent pour reprendre les rênes. Parce que aujourd’hui, même si les Libanais demandent des leaders, nous n’allons pas leur donner l’occasion de les exterminer. Comme ils l’ont fait en 2005 en faisant taire à jamais Samir Kassir, Gebran Tueni ou Bassel Fleihan, ou en retournant leur veste. Non, la thaoura n’est pas divisée et non, elle n’est pas désorganisée. Et non, elle ne s’est pas essoufflée. Même si les places ne sont plus remplies comme avant, il y a encore des activistes qui se battent pour les autres en attendant qu’ils se réveillent.
Non, je ne leur laisserai pas le pays. Ma nation. Celui qui aurait pu être le plus beau pays du monde si le peuple n’avait pas courbé l’échine après la guerre qui l’a épuisé. L’histoire est faite de cycles. Et personne n’est immortel. Leur progéniture et leurs successeurs ne seront pas à la hauteur ou plutôt la bassesse des générations précédentes. Non, je ne veux pas voir nos cerveaux quitter le Liban. Je ne veux pas voir les jeunes tenter leur chance ailleurs. Je ne veux pas voir mes proches quitter le navire pour fouler une herbe plus verte ailleurs. L’herbe est sous nos pieds, comme la plage était sous les pavés. Il faut juste que vous vous réveilliez. Que vous brandissiez ce drapeau orné de rouge, de blanc et de ce cèdre qui symbolise la force. En partant, en laissant tomber notre pays, c’est comme si on déracinait cet arbre millénaire. Notre arbre.
Non, je ne leur laisserai pas mon pays, parce qu’il est le vôtre aussi. Alors, qu’attendez-vous pour remplacer votre dégoût et votre résignation par l’amour de votre patrie ? Les générations à venir et l’histoire vous en sauront gré. Et cela n’a pas de prix.
From L’orient Le Jour